Tempêtes microbiennes
Patrick Zylberman, [Zylberman, Patrick]Tout concourt aujourd’hui à exalter la logique du pire sur laquelle s’appuie l’intelligence de la terreur biologique. Fin septembre 2005, le nouveau coordinateur pour la grippe aviaire et humaine à Genève n’hésitait pas à prédire de 2 à 150 millions de morts dans le monde lors d’une prochaine pandémie. Quelques mois plus tôt, l’OMS avait cité le chiffre de 50 millions de décès : « comme en 1918 ! ». « Comme en 1918 » : ces mots allaient devenir le refrain, la scie, le logo de la période. Ne verrait-on pas, en février 2006, à Boston, Anthony Fauci, directeur du National Institute of Allergy and Infectious Diseases de Bethesda (NIAID), brandir devant une assistance médusée, tel le mané thécel pharès tracé par la main sur le mur, une pancarte témoignant des horreurs de la grippe « espagnole » ? C’est qu’entre août 2004 et novembre 2005 le nombre des morts en sursis a soudain décuplé. L’administration américaine est passée de l’hypothèse d’une pandémie « modérée » à celle d’une pandémie « sévère » : « comme en 1918 » ! C’est aussi cette dernière hypothèse que retenaient les experts français quelques mois plus tôt. (Selon un scénario optimiste, près de 30 millions de personnes auraient pu être hospitalisés dans le monde, et 7 millions décéder au cours de la pandémie.)
La peur, à cet instant, coule d’un fil étrangement sonore. À l’été 2005 paraît ainsi dans Foreign Affairs un papier intitulé « Faire face à la pandémie qui vient5 ». Son auteur, Michael T. Osterholm, est professeur à la Minnesota School of Public Health et directeur du Centre de recherche et de politique des maladies infectieuses à Washington. Dépassé seulement dans sa tonalité alarmiste par l’éditorial de Nature du 26 mai, c’est un tableau inquiétant...